T’as appris à lire dans les pensées de tes invités, toi?

Et si ton intuition te jouait des tours (et à tes invités aussi)?
Restaurateur, j’ai une question un peu inconfortable pour toi aujourd’hui :
À quel point es-tu certain de savoir ce que tes clients, pardon, tes invités, aiment vraiment?
Tu penses connaître leurs plats préférés, leur musique de fond idéale, leur style de service préféré, leurs horaires de sortie, ce qu’ils trouvent trop cher, trop fade ou trop fort en coriandre?
Eh bien… je te le dis avec toute l’affection du monde :
Fais attention à ton intuition. Elle est parfois aussi fiable qu’un thermostat de friteuse défectueux.
Le réflexe du « Je sais ce qu’ils veulent »
J’ai eu la chance (et le privilège) de côtoyer des centaines de restaurateurs au fil de ma carrière. Et il y a un réflexe que j’ai vu revenir encore et encore :
“Moi, je connais mes clients.”
“Ça, ils aiment pas ça.”
“Les promos, c’est pas leur genre.”
“Le jazz le jeudi soir, c’est ce qu’ils préfèrent.”
“Le tartare de bison? Trop flyé pour eux.”
Ce type de phrases, on les entend partout. Et souvent, elles sont dites avec conviction, voire passion. Le problème, ce n’est pas d’avoir des convictions, c’est de ne jamais les remettre en question.
Le vrai drame? On ne vérifie même pas.
On prend rarement le temps de demander à nos invités ce qu’ils pensent vraiment.
On se fie à des impressions, à des “feelings”, à ce qu’on a vu un mardi soir à moitié plein.
Et quand nos employés de première ligne essaient de nous faire part de leurs observations?
On leur dit, subtilement ou pas, qu’ils se trompent. Parce que nous, on sait.
Mais laisse-moi te dire une chose un peu dure (mais importante) :
Le gestionnaire est souvent la personne la moins bien placée pour savoir ce que le client veut.
Pourquoi? Parce qu’il est biaisé. Parce qu’il regarde les chiffres. Parce qu’il est influencé par ses fournisseurs, ses stocks, ses marges, ses goûts. Parce qu’il est humain.
Et surtout, parce qu’il est loin de la table.
Trois sources d’information. Une est souvent ignorée.
Si on classe les sources d’information du plus fiable au moins fiable, ça donne à peu près ceci :
- L’invité lui-même. Tu veux savoir ce qu’il aime? Demande-lui. De façon authentique. Par une mini enquête. Une carte postale à cocher. Un QR code avec trois questions. Un échange sincère.
- Les employés de première ligne. Ceux qui entendent les soupirs, les “wow”, les “c’est cher”, les “c’était tiède”, les “tu devrais goûter à ça!”
- Le décideur. Souvent sincère, mais souvent biaisé. Et parfois, dangereusement influencé par son propre ego ou ses enjeux financiers.
Petit exemple croustillant (mais réel)
Un fournisseur débarque avec une offre “exclusive” :
“Regarde, mon ami restaurateur, j’ai un super deal sur cette burrata à la truffe importée de Moldavie, à moitié prix. Tu vas en vendre comme des petits pains chauds!”
Tu acceptes. T’en commandes 80 unités. Tu changes ton menu. Tu mets une affiche.
Tu fais confiance à ton “feeling”.
Deux semaines plus tard :
Tes employés te disent que personne ne comprend c’est quoi.
Que ça se vend mal. Que ça ne goûte pas la truffe, ou trop.
Et toi? Tu te fâches :
“C’est parce que vous ne le proposez pas comme du monde! C’est pas la burrata le problème, c’est vous!”
Non. Le problème, c’est que tu as accepté un cadeau empoisonné, basé sur les priorités du fournisseur, pas sur les préférences de ton invité.
Et tu as fait porter l’échec à tes employés, au lieu de remettre en question ta décision d’en haut.
Ce n’est pas une critique. C’est une invitation.
Ce texte n’est pas une leçon de morale.
C’est un rappel bienveillant :
En restauration, nos intuitions sont précieuses… mais elles doivent être validées.
Tu veux savoir ce qui plaît à ton monde? Demande-leur.
Tu veux savoir ce qu’ils vivent? Écoute ceux qui leur parlent chaque jour.
Et si ton idée géniale ne pogne pas, ose te poser la question :
Est-ce que j’ai vraiment créé ça pour eux… ou pour moi?
En conclusion
La restauration, c’est un métier de ressenti. D’instinct. De passion.
Mais c’est aussi un métier de précision, d’écoute et d’humilité.
Et l’une des grandes clés du succès, c’est de ne jamais confondre son intuition avec la vérité.
Parce que la vérité, elle est là, chaque jour, devant toi, assise à une table.
Elle te sourit, ou elle ne revient pas.
Elle te parle, ou elle te quitte.
Et toi, est-ce que tu prends le temps de l’écouter?